Lumière sur une étoile montante : une conversation avec Sylvia Villeneuve

Exceptionnellement cette année, le RBIQ décernera le prix Étoile montante en bio-imagerie au Québec à deux professeurs, Sylvia Villeneuve et Hassan Rivaz. Ils présenteront leurs travaux lors de la Journée scientifique du RBIQ 2022 à Sherbrooke le 2 juin avec le conférencier William Feindel de cette année, Louis Collins. Afin d’en apprendre davantage sur leurs recherches et intérêts, l’équipe du blogue du RBIQ a réalisé une entrevue avec chacun d’entre eux. Restez à l’affût pour les entrevues avec Hassan Rivaz et Louis Collins qui suivront bientôt, mais d’abord profitez de l’entrevue avec Sylvia Villeneuve ci-dessous!

Sylvia Villeneuve est Professeure agrégée au Département de Psychiatrie à l’Université McGill et détient une chaire de recherche du Canada en détection précoce de la maladie d’Alzheimer. Elle dirige le laboratoire d’ Imagerie multimodale du vieillissement cérébral à l’Institut Douglas, où elle est également co-directrice du Centre StoP-Alzheimer. Son agenda de recherche porte sur le vieillissement et la maladie d’Alzheimer, principalement sur la forme préclinique de la maladie, dans le but de mieux comprendre les changements biologiques et cérébraux avant l’apparition du déclin cognitif. À l’instar des précédentes Étoiles Montantes, Dr. Villeneuve allie rigueur scientifique, attitude positive et idées innovantes! J’ai eu la chance de discuter avec elle de son parcours et sa vision de la recherche, qui pourront sans doute en inspirer plusieurs. (Remarque : l’entrevue a été modifiée pour en assurer la clarté et la concision.)

Qui est Sylvia Villeneuve?
J’ai complété mon baccalauréat à l’UQAM en psychologie où j’ai fait une thèse d’honneur sur le développement de l’enfant . J’ai ensuite obtenu mon doctorat en neuropsychologie en recherche et intervention sous la supervision de Sylvie Belleville à l’Université de Montréal. Dans ma thèse j’ai développé des tâches de mémoire pour différencier les patients avec troubles cognitifs légers de type vasculaire vs. de type Alzheimer. Et en fait mon intérêt pour la maladie d’Alzheimer a commencé très tôt, j’ai participé à une expo-sciences au primaire avec un projet sur la maladie d’Alzheimer! Après mon doctorat j’ai ensuite fait un postdoctorat à Berkeley avec William Jagust en lien avec l’imagerie amyloïde dans la maladie d’Alzheimer. L’amyloïde est une des deux pathologies de la maladie d’Alzheimer - l’autre étant les aggrégats de protéines tau- qu’on peut mesurer dans le cerveau à l’aide de la tomographie par émission de positrons (TEP). J’ai fait un autre court postdoctorat à NorthWestern University avant d’être engagée à McGill.

À quel moment avez-vous su que vous vouliez poursuivre une carrière en recherche plutôt qu’en neuropsychologie clinique?
Je dirais que ça s’est clarifié vers la fin de mon doctorat, lors de l’internat clinique. J’ai réalisé qu’à ce moment, où nous étions exclusivement en clinique, la recherche me manquait. Et c’est durant mon premier postdoctorat que j’ai réalisé que je voulais devenir professeure et vraiment poursuivre une carrière en recherche. Cela dit, je considère être une meilleure chercheuse grâce à ma formation clinique! C’est une formation qui me sert toujours et ma recherche actuelle est étroitement liée à des applications cliniques. Mon agenda de recherche et ce qui me passionne est dans le but d’avoir un impact clinique sur la maladie d’Alzheimer.

Justement, à ce sujet, qu’est-ce qui vous passionne le plus dans vos recherches actuelles?
On est dans une ère où on a sans cesse des nouveaux biomarqueurs pour mieux comprendre la maladie d’Alzheimer! Par exemple, pendant mon postdoctorat les scans TEP amyloïde étaient déjà établis. Puis, peu après mon entrée en poste à McGill, les scans TEP pour les protéines tau (la deuxième pathologie de la maladie d’Alzheimer) ont été développés et on a été parmi les quelques groupes dans le monde à acquérir ces nouveaux scans. Avec tous ces biomarqueurs on est aussi en mesure d’étudier la maladie de plus en plus tôt, soit avant l’apparition de symptômes de la maladie, dans ce qu’on appelle la phase préclinique. L’amyloïde est justement la pathologie qui commence à s’accumuler très tôt dans cette phase préclinique et c’est ce qui a motivé mon choix de postdoc, je voulais travailler sur des biomarqueurs précoces. Un autre aspect que je trouve important de mon agenda de recherche actuel est qu’on essaie vraiment d’inclure l’imagerie multimodale. Étant donné qu’on étudie les gens avant l’apparition de troubles cognitifs et qu’on ne peut donc pas se baser sur l’expression clinique, c’est important de combiner plusieurs marqueurs cérébraux.

Aussi, j’ai vraiment l’impression que nos recherches ont un impact en clinique. Par exemple, les informations sur les biomarqueurs qu’on acquièrent en recherche sur nos participants sont partagées avec les neurologues, ce qui influence la prise en charge du patient. Notre recherche a une portée clinique importante et c’est un aspect qui me tient à cœur!

Vous êtes aussi co-directrice du Centre StoP-Alzheimer au Douglas, comment conciliez-vous ce rôle avec la gestion de votre laboratoire de recherche?
Ça permet de faire le pont entre la recherche et la clinique en fait! Dans mon laboratoire on se concentre principalement sur l’imagerie multimodale à partir des participants qu’on voit au centre StoP-Alzheimer, on a une approche plus « technique » disons. Ensuite, on met tout ça en lien avec les données cliniques et on peut communiquer les résultats issus de mon laboratoire avec les cliniciens et neurologues, comme je disais. Ça me permet que la recherche ait une autre portée au-delà de l’aspect académique. 

On a aussi partagé les données d’imagerie, de biomarqueurs et de cognition (… et d’autres à venir sous peu!) issues de la cohorte de participants qui viennent au centre StoP-Alzheimer ouvertement. Je trouve ça super que ces données puissent être utilisées par plein de chercheurs à travers le monde!

C’est intéressant que vous mentionnez la science ouverte. Est-ce que vous avez hésité avant de vous lancer dans le partage de toutes ces données (2000 scans IRM et 5 ans de suivi cognitif) ou ce choix s’imposait naturellement pour vous?
Je pense que c’est important de partager les données pour faire avancer la science. La plupart des projets de recherche dans mon laboratoire utilise d’ailleurs souvent plusieurs cohortes pour répliquer les résultats, donc je dirais que c’était naturel de se lancer dans ce processus pour contribuer au partage de données. Par contre,un des grands défis que nous avons rencontrés est qu’il n’y a pas vraiment de structure en place pour favoriser le partage de données cliniques sensibles. Au niveau éthique également on s’est posé plusieurs questions, et les décisions sur ce que nous pouvions partagés ou pas différaient d’un comité à l’autre et d’uneorganisation à l’autre. Donc pour arriver à tout harmoniser – les données d’imagerie et cliniques –, demander le consentement à chaque participant, etc, ce fut un long processus! Le financement pour ce genre d’initiatives est aussi encore limité, alors c’est beaucoup en temps « extra » qu’on est arrivés à faire ça! Et ensuite il ne faut pas sous-estimer tout le temps nécessaire pour répondre aux questions et demandes des utilisateurs et maintenir la plate-forme. À long terme, ce serait super si on pouvait avoir des structures stables pour faciliter ces initiatives de partage de données.

Quelles avancées entrevoyez-vous en lien avec l’imagerie et la maladie d’Alzheimer dans le futur?
Je pense qu’on est rendu au point où on peut transposer les résultats de recherche en clinique. Par exemple, c’est de plus en plus clair que chez les personnes âgées sans trouble cognitif, avoir des niveaux élevés d’amyloïde et de tau est étroitement lié au déclin cognitif à l’intérieur de quelques années. C’est le genre d’informations qui peut vraiment faire une différence pour la prise en charge de patients et le design d’essais cliniques. Également, je pense que l’imagerie multimodale est en essor; en combinant plusieurs marqueurs cérébraux on est capable de mieux comprendre l’hétérogénéité de la maladie d’Alzheimer et du vieillissement. On se rend compte de plus en plus de la grande variabilité interindividuelle. De pouvoir l’aborder à travers différents angles et avec différentes modalités d’imagerie nous aide à mieux comprendre l’évolution de la maladie, notamment avant l’apparition de symptômes.

Qui sont vos mentors et qu’est-ce que vous appréciez le plus de votre relation avec eux?
Au niveau clinique, Sylvie Belleville est une des meilleures cliniciennes que je connaisse. Son agenda de recherche a aussi été grandement influencé par son expertise clinique et c’est un aspect qui me rejoint beaucoup. Pendant mes internats cliniques, j’ai aussi beaucoup été influencée par d’autres cliniciens, notamment Francine Fontaine, une neuropsychologue clinicienne incroyable qui était au CRIUGM pendant ma formation. Au niveau de la recherche, Bill Jagust a été et est encore à ce jour un grand mentor pour moi! Sa manière innovante d’aborder les questions de recherche, de gérer son équipe et de former les étudiants m’inspirent beaucoup.

Dans votre laboratoire, quel type de mentor êtes-vous?
Humm bonne question! J’adore former les étudiants. Mon but est de les aider dans leur formation pour qu’ensuite ils deviennent experts dans leur domaine et que leur expertise dépasse la mienne quand ils quittent le labo. Je souhaite vraiment les aider dans ce processus « d’apprendre à penser » pour qu’ils deviennent autonomes par la suite et développent leurs propres idées. Pour moi c’est important que tous les membres de mon laboratoire, peu importe leur niveau de scolarité ou d’expertise, participent à tous les aspects de la recherche. Mes étudiants post-doctoraux, mais aussi mes étudiants au baccalauréat, participent par exemple à la collecte de données, l’entrée de données et la révision de demandes de subvention. C’est souvent impressionnant le regard nouveau et éclairant que mes étudiants au baccalauréat ont sur mes demandes. Ils trouvent les failles et m’aident à identifier les sections trop complexes qui doivent être mieux vulgarisées.

Cela fait maintenant quelques années que vous êtes en poste, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite être professeur?
Je conseillerais d’y aller avec sa passion; le critère de base selon moi est d’être passionné(e)! Je pense aussi que c’est important d’aller chercher un postdoctorat qui est formateur. Mon postdoc a été très « challengeant » et en même temps ça m’a vraiment préparé à devenir chercheuse indépendante. Et évidemment s’entourer de bons mentors est aussi très important!

Comment abordez-vous l'échec en science et quel est votre plan d'action après l'échec?
L’échec est primordial! Je le vois souvent comme un signal qu’il y a quelque chose à changer et à améliorer. Par exemple, quand mes demandes de subvention ne sont pas financées, ça redouble ma motivation pour les améliorer et arriver à les transformer en succès. Je pense vraiment qu’on devient des meilleurs chercheurs à cause des échecs!

Avez-vous appris quelque chose sur vous-même ou sur la façon dont vous menez votre recherche pendant la pandémie?
Au niveau du centre StoP-Alzheimer, la pandémie a été très difficile. On a dû réinventer la manière de faire les visites annuelles avec les participants qui sont tous des personnes âgées en mettant en place des tâches cognitives qu’on puisse faire de manière virtuelle. Et évidemment on a dû annuler toutes les visites d’imagerie cérébrale. Au niveau de mon laboratoire, j’ai vraiment réalisé à quel point le contact un à un avec mes étudiants est extrêmement important. J’aime travailler en étroite collaboration avec mon équipe et bien qu’on ait mis des trucs en place, reste que c’est plus difficile en virtuel. Mon labo est vraiment un endroit où on s’entraide et d’une certaine manière la pandémie a confirmé à quel point c’est important pour moi. 

Comment arrivez-vous à trouver l’équilibre entre le travail et la vie personnelle?
Je pense que c’est super important d’avoir des passe-temps et activités en dehors du travail. Même que le fait d’avoir ces activités et/ou une vie familiale active nous force à être efficace. C’est aussi important de prendre des vacances! À chaque fois, ces temps de repos me permettent de revenir encore plus motivée. Quand je reviens de vacances j’ai toujours un papier et un crayon sur le chemin de retour et je pense à mes prochaines demandes de subvention! D’ailleurs, lorsque j’écrivais ma première demande aux IRSC, on approchait de la date limite et j’avais une version presque finale, mais il manquait ce petit quelque chose pour en faire une version plus aboutie et je bloquais! Je n’arrivais pas à l’améliorer comme je souhaitais alors le weekend juste avant la soumission j’ai été skier une demi-journée pour me changer les idées et déconnecter (j’adore faire du ski alpin). Quand je m’y suis remise, ça a débloqué et j’ai pu l’améliorer! Tout ça pour dire que c’est super important d’avoir cet équilibre!

Très bon conseil de prendre ces moments de pause! Ça a été très bénéfique dans ce cas-ci puisque la demande a été subventionnée!
Qu'est-ce que la plupart des gens ignorent de vous?
Les gens ont parfois l’impression que je suis très structurée et organisée …. mais ce n’est pas toujours le cas! D’ailleurs, chaque demande de subvention, peu importe la date ou l’heure de l’échéance, je la soumets deux minutes avant la limite!

(Rires) C’est tellement vrai! (Dr. Villeneuve a été ma superviseure de doctorat)
Enfin, qu'est-ce que cela signifie pour vous de recevoir le prix Étoile montante du RBIQ?
Pour moi c’est vraiment un prix important parce que c’est souvent difficile d’avoir le chapeau de quelqu’un avec des habiletés techniques en neuroimagerie et de clinicienne. Des fois on me met dans cette catégorie de « clinicienne » et certains voient ça étant incompatible avec le fait de générer des avancées de pointe en imagerie cérébrale. Pour moi il n’y a pas d’incompatibilité; dans mon labo on innove en imagerie et il y a ensuite un transfert de connaissances au Centre StoP-Alzheimer. Ce prix en quelque sorte permet de reconnaître ces différentes facettes!

Voici maintenant quelques questions à choix de réponse et il vous faut choisir!

Le Douglas ou le MNI? (le laboratoire de Professeure Villeneuve est à l’Institut Douglas)
Le Douglas …. mais c’est les deux!

Données ouvertes ou acquérir des données?
Ah, encore les deux! Mais quand même un petit penchant pour acquérir des données!

IRM ou TEP?
TEP, ça c’est sûr!

Je suis curieuse ici, amyloïde ou tau?
(Après réflexion) Amyloïde
Je pense vraiment que si on peut stopper l’amyloïde ce serait bénéfique pour prévenir la maladie d’Alzheimer.

Introvertie ou extravertie?
Extravertie … mais définitivement les deux

Été ou hiver?
Hiver

Café ou thé?
Café!!

Bagels montréalais ou poutine?
Bagel …. Je pourrais même préciser Saint-Viateur!

Alexa a fait son doctorat à l'Unversité McGill sous la supervision du Professeure Sylvia Villeneuve. Elle poursuit actuellement ses recherches en neuroimagerie sur la maladie d'Alzheimer comme postdoctorante à Lund University en Suède, et espère un jour avoir son propre laboratoire au Québec!

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