Au Canada, 30% des adultes âgés de 20 à 79 ans souffrent de perte auditive, qui est diagnostiquée lorsqu’un individu a de la difficulté à entendre des sons de plus de 20 décibels (à titre comparatif, le volume d’une conversation normale se situe habituellement entre 50-80 décibels). De plus, 37% des adultes souffrent d'acouphènes, qui se caractérisent par la perception d’un son non généré par une source externe, par exemple un tintement, un sifflement, un bourdonnement, un grondement ou un rugissement dans les oreilles. Selon les statistiques du gouvernement du Canada, la perte auditive et les acouphènes affectent davantage les hommes (63%) que les femmes (46%) et les symptômes s’aggravent généralement avec l’âge - seulement 9% des personnes âgées de 20 à 39 ans ont une perte auditive contre 94% des individus de 70 à 79 ans. Ces perturbations liées à l’audition peuvent impacter négativement la qualité de vie de la personne concernée et ont été associées à la dépression, l’anxiété et le stress. Lorsqu’ils coexistent, ces incapacités physiques et mentales ont tendance à s’influencer et à s’exacerber mutuellement, entraînant des symptômes plus graves, et parfois une réduction des activités sociales et de l’auto-isolement. Il s’agit d’une relation particulièrement importante à considérer dans le contexte du déclin cognitif lié à l’âge et de la démence, pour lesquels la dépression, l’anxiété et le stress sont reconnus comme étant des facteurs de risque.
Les scientifiques ont découvert que de nombreuses personnes souffrent d’une perte auditive 5 à 10 ans avant leur diagnostic de démence liée à l’âge. Cela pourrait suggérer que les difficultés d’audition contribuent au déclin cognitif. En raison de cette association, la perte auditive est considérée comme un facteur de risque modifiable de la démence. Les facteurs de risque modifiables sont des comportements ou des expositions dans la vie d’une personne qui, s’ils sont modifiés, peuvent potentiellement réduire leur risque de développer une certaine maladie. Cela signifie qu’en traitant la perte auditive d’une personne, nous pourrions être en mesure de réduire ses chances de développer une démence. De façon similaire à cette association, le fait de ne pas fumer ou d’arrêter de fumer peut réduire le risque de cancer du poumon. Il existe deux explications possibles à cette association, la première suggérant que la privation auditive et le manque de stimulation causés par la perte auditive contribuent au déclin cognitif. L’autre hypothèse suggère que la perte auditive fait davantage travailler le cerveau sur l’audition et l’écoute, ce qui signifie qu’il y a moins de ressources disponibles pour d’autres processus cognitifs tels que l’attention et la mémoire de travail, ce qui contribue à son tour au déclin cognitif. Quelle que soit la bonne explication, il est clair que le traitement de la perte auditive ne doit pas être négligé, en particulier chez les personnes âgées ou chez les personnes à risque d’une démence liée à l’âge.
La recherche montre également des associations entre la perte auditive et les changements fonctionnels et anatomiques dans le cerveau des personnes âgées. Ces changements peuvent être évalués à l’aide de techniques de neuroimagerie telles que l’imagerie par résonance magnétique structurelle et fonctionnelle. Avec l’imagerie par résonance magnétique structurelle, les individus souffrant d’une perte auditive présentaient une perte de volume cérébrale plus importante et plus rapide en comparaison aux individus sans déficience auditive. De plus, des pertes neuronales plus importantes dans l’hippocampe, une région cruciale pour l’apprentissage et la mémoire, et dans le cortex entorhinal, une région cérébrale jouant un rôle dans les processus olfactifs et de mémoire, ont été constatées chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer ayant des troubles auditifs. L’hippocampe et le cortex entorhinal sont deux des régions les plus touchées par la maladie d’Alzheimer, la démence liée à l’âge la plus prévalente. Ces résultats suggèrent que les patients souffrant d’une perte auditive présentent un risque accru de déclin cognitif et de démence, et soulignent l’importance de traiter la perte auditive, un phénomène qui touche un nombre croissant d’individus chaque année et qui a des conséquences économiques et sociales importantes.
La bonne nouvelle est que le développement rapide de nouvelles technologies a considérablement amélioré les appareils auditifs, et il existe désormais plusieurs options pour traiter efficacement la perte auditive. Les appareils auditifs sans fil peuvent désormais être connectés aux smartphones, ce qui ajoute des fonctions utiles qui améliorent la qualité de vie du patient. Par exemple, les appels téléphoniques et autres sons, tels que les instructions de conduite ou la musique, peuvent être transmis directement du téléphone à l’appareil auditif, et le patient peut contrôler le volume de l’oreille gauche et de l’oreille droite indépendamment.
À ce jour, le dispositif le plus performant pour aider le cerveau à récupérer d’une déficience auditive est l’implant cochléaire. Ce dispositif neuroprosthétique aide les gens à mieux entendre en général, et plus particulièrement à écouter et à parler dans des environnements bruyants. Les appareils auditifs et les implants cochléaires sont également le premier choix de traitement des acouphènes, avec une diminution ou disparition des symptômes chez plus de 80% des individus ayant un implant cochléaire. S’il n’a pas été prouvé que l’utilisation d’appareils auditifs réduisait directement le risque de déclin cognitif ou de démence, il a été démontré qu’elle est associée à des changements fonctionnels et anatomiques dans le cerveau des personnes âgées souffrant de perte auditive. Par exemple, des études ont montré qu’il est possible d’inverser les diminutions de l’activité neuronale et de l’épaisseur corticale causées par la perte auditive, après seulement un an d’utilisation d’une aide auditive.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, jusqu’à 2,5 milliards de personnes souffriront d’une perte auditive d’ici 2050, et 700 millions d’individus auront besoin d’une réhabilitation auditive. La perte auditive non traitée est un problème qui possède un impact économique énorme, coûtant environ 980 milliards de dollars américains par an, et actuellement, moins de 20% des individus de plus de 70 ans souffrant d’une perte auditive ont des appareils auditifs. Même si les personnes âgées ont besoin de plus de temps pour s’adapter aux aides auditives et aux implants cochléaires que les personnes plus jeunes, les impacts positifs sur la structure du cerveau, la cognition et la qualité de vie en général sont tout aussi clairs. De plus, la possibilité que les troubles auditifs entraînent un risque plus élevé de déclin cognitif et de démence signifie qu’il est crucial de prendre soin des patients présentant une déficience auditive à tout âge, pour les aider à vivre une vie plus saine et plus heureuse.
Flavie Detcheverry est étudiante au doctorat en génie biomédical à l'Université de Montréal. Son projet de recherche au laboratoire MIND, sous la supervision des professeurs Badhwar et Narayanan, consiste à étudier les changements dans les niveaux de métabolites cérébraux dans le cerveau à l'aide de la spectroscopie par résonance magnétique et dans le sang à l'aide de la métabolomique basée sur la spectrométrie de masse. Elle est passionnée par l'apprentissage et l'implication dans la recherche scientifique et la communication scientifique.